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L'accompagnement bouddhiste à la fin de la vie
- (Le texte en 4 parties) -

Partie 1/4
Mourir, comment faire face à cette étape de la vie la plus personnelle et intime ?

Partie 2/4
Les quatre bonnes façons pour agir en compassion

Partie 3/4
Les quatre actes nécessaires pour avoir l'esprit en paix au moment ultime.

Partie 4/4
Conduire un souffrant vers une fin sereine - (Un cas expliqué) -

 

Lire aussi le supplément à cet article :
"Attitude bouddhiste pour aider les grands malades dans la douleur et la souffrance ultime"

Conduire un souffrant vers une fin sereine
- (Un cas expliqué) -

Comment parler sincèrement à un souffrant avec des paroles aimantes, tout faire pour son bien spirituel, en empathie tout donner avec l'esprit joyeux, d'un bon père ou d'une bonne mère, et avec grandeur d'âme.

 

4ème partie

Conduire un souffrant vers une fin sereine -
(Un cas expliqué) -

 

Au Japon, j’avais entendu Maître Narita parler à ses paroissiens malades. Dès mon retour en France j’ai été confronté à mon premier cas d’assistance religieuse.

Voici comment cela s'est passé :

" Qu'est-ce que ça fait quand on meurt ? "

Dans la chambre d’hôpital où je visitais ma mère, une voisine de lit m’a appelé en me disant : « Mon père, je voudrais vous parler. » J’étais en habit religieux zen mais j’ai pensé qu’elle avait pu se méprendre. Je me suis donc avancé vers son lit et je lui ai répondu : « Bonjour, madame, voyez-vous, je ne suis pas un prêtre catholique. Je suis un moine bouddhiste. » Elle me répondit : « Ça ne fait rien, je voudrais vous parler quand même ! » Je me suis assis à la tête de son lit, je lui pris les mains et lui demandai : « Qu’est-ce que vous voulez me dire ? » Sa question a été directe : « Qu’est-ce que ça fait quand on meurt ? » Je lui dis : « Vous voulez savoir ce qui se passe après la mort ? » Elle répondit : « Après la mort, c’est bien loin "après" ! Mais qu’est-ce qu’on ressent, qu’est-ce qui se passe dans le moment où on meurt ? »

Je lui expliquai : « Le moment de la mort est le moment où votre corps cesse de fonctionner et ne produit plus la vie.
« Tant que votre corps est en vie vous ressentez des sensations, des émotions, des sentiments, vous réfléchissez, vous avez des idées. Et cela est parfois agréable et plus souvent pénible. Quand votre corps n’est plus en vie, les nerfs qui ressentent ces sensations, le cerveau qui produit ces émotions, ces pensées et ces idées, ne sont plus en vie non plus. Il n’y donc plus de sensations, d’émotions, de pensées, ni d’idées. Il n’y a donc pas non plus de souvenir, ni de « vision » puisqu’il n’y a plus aucun support pour ces perceptions.
« C’est ainsi que le passage de la vie à la mort n’est douloureux que par la peur qu'on a d’un lieu inconnu qu’on ne peut anticiper que dans l’image qu’on s’en fait à partir de ce qu’on en a lu ou entendu dire. Ce lieu-là n’a donc aucune substance en propre, il n'est que dans notre idée.
« Et donc, le fait reste qu’après le passage vous ne ressentez plus rien.
« Ce qui vous inquiète maintenant, c’est que votre conscience n’est pas tranquille parce que depuis votre enfance on vous a menacée de mille tourments si vous parliez mal ou faisiez de grosses bêtises, ou si vous donniez à votre vie une mauvaise orientation. Et vous craignez de ne pas avoir toujours bien agi comme vous auriez dû. »

[Après avoir échangé ainsi sur les tenants et les aboutissants de la vie en général et de la sienne en particulier, nous sommes arrivés au point important.]

" Ces histoires, ces chagrins, ces rancoeurs :
dites-moi que vous ne voulez pas les emporter. "

A un certain moment, en réponse à l’une de ses réflexions, je lui dis :
« Vous n’êtes pas une grande criminelle, mais en vous battant dans la vie vous n’avez pas toujours été tendre avec les autres, peut-être même avez-vous détesté des gens. Et vous gardez peut-être encore « un chien de votre chienne » pour quelqu’un. Mais aussi, vous avez su rendre service quand il le fallait. Vous avez donné tout ce que vous pouviez à votre famille. Les autres vous ont peut-être fait des crasses que vous ne pouvez pas oublier. Je vous dis ça parce que nous sommes tous comme cela. Moi, comme les autres.
« Quand on quitte ce monde c'est mieux de le faire la conscience tranquille. La paix dans l’esprit. Alors il faut un peu se forcer. Considérez que vous ne pouvez pas changer ce qui vous est arrivé de mauvais, mais que vous pouvez être contente de ce que, vous, vous avez fait de bien. Vous vous souvenez sans doute de moments où vous aviez dépassé une rancœur ou fait une charité et que vous étiez contente, le cœur léger et fière de vous ? Et aussi, à l’inverse, que vous aviez de l’amertume quand vous aviez fait quelque chose de contraire à ce que vous pensiez être le bien, même si vous y aviez été contrainte ? »
Et, ici, j’ai ajouté :
« Vous savez, vous n’avez pas besoin de me raconter vos histoires si vous n’en avez pas envie. Et en fait ça ne regarde que vous. Mais au fond de votre cœur, commencez à pardonner sincèrement à tous ceux, connus ou inconnus, proches ou étrangers, qui vous ont fait du mal ou avec qui vous vous êtes fâchée. » C’était sans doute cela qu’elle avait sur le cœur. C’était pour cela qu’elle m’a interpellé pour se confier. En chuchotant, elle me raconta ses malheurs, ses conflits et ses rancoeurs. Ce qu’elle a fait pour les autres qui ne lui ont « même pas dit « merci ». Et aussi les détestations dont elle fut l’objet pendant sa jeunesse. Elle fit l’inventaire de tout, et le posa entre nous comme un paquet de linge sale ou une poubelle qu’on vide. « Voilà ! dit-elle, comment voulez vous que je pardonne tout ça ? »

– « Ce qui est arrivé est arrivé, dis-je. Maintenant vous ne pouvez plus revenir dessus. Ce gros paquet d’histoires, ces chagrins qui vous ont été causés, ces rancoeurs qui vous restent, dites-moi que vous ne voulez pas les emporter avec vous. »
Ce moment a été décisif. Les rides apparues sur son visage pendant qu’elle me racontait ses peines se sont froncées encore plus. Son visage est devenu très grave. Puis d’un coup, elle s’est détendue. Les rides creusées par les peines et le temps s’effacèrent comme des traces de pas sur le sable balayées par une vague. Elle me regarda droit dans les yeux.
– « Oui, vous avez raison, je ne peux pas les emporter avec moi. Tout ça c’est fini, de toute façon… »
– « Dites-moi que vous leur pardonnez à tous. »
– « Mais ils sont morts ! Et les autres il y a bien longtemps que je n’ai plus de nouvelles. »
– « C’est dans votre cœur qu’ils sont. C’est à eux, au fond de votre cœur, que vous devez dire que vous leur pardonnez. Et pourquoi cela ? Parce qu’en fait, il n’en reste que le souvenir dans votre tête. Si vous le leur remettez, vous en serez nettoyée. »
– « C’est bien vrai, ça. Bon, je leur pardonne, à tous ! » Elle se reprit, et répéta sérieusement en pesant bien ses mots : « Je leur pardonne. » – C’était admirable de voir cette grand-mère si sérieuse, si appliquée. – Son visage se détendit, ses yeux brillèrent. Je suppose qu’elle devait avoir le même regard quand, plus jeune, elle posait un panier trop lourd qu’elle avait porté trop longtemps.
– Je lui dis : « Vous devez vous sentir soulagée d’avoir pensé et dit cela. N’est-ce pas ? »

" Je demande pardon
maintenant et sans réserve
de tous mes actes mauvais
commis dans le passé . . . "

Après cet acquiescement, je lui dis :
– « Vous pourriez dire aussi combien vous demandez pardon maintenant et sans réserve, de tous vos actes mauvais commis dans le passé, que vous avez faits par envie, par colère, par refus et même par ignorance et que vous avez produits avec vos pensées, avec vos paroles et avec votre corps. C’est comme ça qu’on soulage sa conscience. Pensez bien à votre vie et à tous ceux avec qui vous avez eu affaire. »

Elle acquiesça de nouveau à cette formulation en français ordinaire du repentir bouddhique.
– « C’est vrai, dit-elle, que je n’ai pas toujours été correcte. Mais je n’ai jamais voulu faire du mal. Mais il est vrai que j’ai fait du tort. Ça, j’en ai bien du remords. Tenez, un jour… »
– Je l’arrêtai. « Vous n’avez pas besoin de me dire ce qui s’est passé sauf si vous croyez que c’est nécessaire. Demandez leur pardon dans votre cœur. Dites-le moi. »
– Elle redevint grave : « Oui, oui, j’en demande pardon. »
– « Alors ça va mieux ? »

" Ne voudriez-vous pas être quelqu'un
qui ne fait que le bien, qui évite le mal
et qui veut aider tous les êtres
à sortir de ce monde de souffrance ? "

– « Maintenant il faut que je vous dise quelque chose : dans le bouddhisme nous croyons que l’on reprend existence continûment parce que la vie est en constante transformation par les actes que nous faisons en pensée, en parole et en comportements et que les conséquences nous accrochent à ce monde où nous avons pris naissance. Dans ce cas, si l’occasion   vous était donnée de vivre une vie nouvelle, est-ce que vous ne voudriez pas être quelqu’un qui ne fait que le bien, qui évite le mal et qui veut aider tout le monde à sortir de ce monde de souffrance ?
(Ici, encore je viens de lui proposer dans sa façon de parler les Trois vœux d’un aspirant à l’Eveil.)
– Oh ! oui ! Ce serait bien, murmura-t-elle.
– Alors, rappelez-vous toujours ce que nous venons de dire, entre nous. Et ne pensez plus à rien d’autre. »

Voilà, en adhérant avec son cœur, en exprimant son accord avec sa bouche, cette personne qui n’était pas bouddhiste a donné libre cours à la plus haute aspiration commune à tous les êtres humains. Sa conscience a été purifiée par le pardon et le repentir. La paix est donc entrée dans son esprit, sa conscience s’est tranquillisée.

Puis je me suis absenté une huitaine de jours pour la Retraite de l’Eveil du Bouddha (rôhatsu sesshin) au début décembre. A mon retour, la vieille dame n’était plus là. Elle s’est éteinte, m’a-t-on dit, trois jours après notre conversation. Très paisiblement.

" Il faut parler le langage compris par
ceux qui ne sont pas bouddhistes
et qui souffrent dans leur corps et dans leur coeur. "

Comme vous l’avez entendu, l’entretien avait été  très simple et il s’est déroulé comme je vous l’ai dit : en une fois et sans heurt ni difficulté. C’est la dame qui m’avait choisi elle-même. Je ne la connaissais pas. Je ne m’étais pas imposé, ni n'avais même pas engagé de conversation. C’est un cas idéal, me direz-vous. C’est bien cela, et c’est pourquoi je le prends comme exemple. Hélas, toutes les interventions ne se déroulent pas toujours aussi bien. Il y a des situations plus compliquées et plus dures, plus angoissées et chaotiques aussi. Mais je m’efforce toujours de respecter les grands principes que j’ai retenus de mon maître et que je vous ai exposés plus haut : d’abord et avant tout, d’avoir la compassion d’amener les personnes à faire elles-mêmes les quatre actes (karma) salvateurs : pardonner, se repentir, donner libre cours à leur aspiration à l’accomplissement spirituel, et pratiquer le Recueillement « pur et nu ».

Et pour y arriver, je me rappelle sans cesse dans mon cœur les « Quatre bonnes façons pour un Aspirant à l’Eveil d’aider les autres » qui agissent comme règle de conduite dans les moments durs et d’incertitude.   Comme je vous l’ai dit, l’appel de cette dame a inauguré mon engagement dans la partie de notre pratique du Zen qui est celle de la fonction « pastorale » telle que me l’ont montré maître Narita et les autres maîtres japonais. Ici en Europe, notre rôle de conseiller spirituel est susceptible de s’adresser le plus souvent à des personnes souffrantes qui ne sont pas bouddhistes, qui ignorent même tout du bouddhisme et encore plus de la pratique de zazen. Ces gens sont chrétiens très croyants, musulmans très croyants, athées très convaincus, ou ils sont indifférents. Mais ils souffrent dans leur corps et dans leur cœur et nous devons leur parler le langage qu’ils comprennent quand ils nous demandent notre aide.   C’est pour cela que je vous ai proposé des sujets de réflexion et une ligne de conduite qui, je l’espère, faciliteront votre démarche qui est de soulager les autres qui souffrent et de les faire avancer sur le chemin de la délivrance, vers l’autre rive.

Je vous remercie de votre attention.

Kengan D. Robert

Lire aussi le supplément à cet article : "Attitude bouddhiste pour aider les grands malades dans la douleur et la souffrance ultime"

 

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